Il y a quarante ans, en avril 1974, disparaissait Georges Pompidou, le président de la République le plus autophile de la Ve République. D’abord parce qu’il aimait conduire des voitures de sport, ensuite parce qu’il a œuvré à la modernisation du réseau routier français, poussant notamment la création d’autoroutes et de grandes voies urbaines. Hommage.
Georges Pompidou a été président de la République de 1969 à 1974
Si le Général De Gaulle était très attaché à sa DS, qui lui a tout de même sauvé la vie lors de l’attentat du «Petit Clamart» (1), et que le président Chirac, lui, ne jurait que par sa CX Prestige Turbo 2, le président Pompidou préférait, sans complexe, les voitures de sport.
Successeur du général De Gaulle, président de la République de 1969 à 1974, on lui prête plusieurs petites phrases sur le thème, de la très contestée « Il faut adapter la ville à l’automobile », qu’il n’aurait jamais réellement prononcée telle quelle, à cette constatation qu’il aurait faite en privé : «Que voulez-vous, les Français aiment la bagnole ! »
Bristol, Porsche, SM…
La bagnole, Pompidou, lui, l’aimait vraiment. Comme voiture présidentielle, aux classiques DS, il préfère une SM, au puissant moteur V8 Maserati. Il en commandera deux aux usines Citröen. Ces SM de type «Opéra», décapotables, rallongées et revues par le carrossier Henri Chapron, ont servi à de nombreuses reprises lors des cortèges officiels, jusqu’à la présidence de Jacques Chirac.
Mais avant d’arriver sur la plus haute marche du pouvoir politique, Georges Pompidou, alors fondé de pouvoir de la banque Rothschild, roulait en Bristol AC. Avant de succomber, en 1962, au charme musclé d’une Porsche 356 B T6, modèle qui allait inspirer, quelques années plus tard, la fameuse 911.
Cette Porsche (qui appartenait en fait à son épouse) aurait été souvent aperçue dans la cour de l’Elysée. Et il se raconte qu’à son volant, en fonçant vers sa maison de campagne d’Orvilliers, dans les Yvelines, Pompidou s’amusait à semer ses gardes du corps…
Georges Pompidou et sa fameuse Porsche 356 (photo DR)
Au volant d’une R16 à la télévision
Le président autophile a également rendu visible son soutien à l’automobile. En recevant par exemple à l’Elysée, en 1972, les pilotes Henri Pescarolo et Graham Hill, ainsi que le patron de Matra, Jean-Luc Lagardère, pour les féliciter de la victoire de la firme française aux 24 heures du Mans, sur une Matra-Simca MS670. On l’a aussi vu poser avec son épouse devant une R4, et être photographié sortant d’un coupé 204. En 1970, il a été filmé par les actualité au volant d’une R16 à l’occasion de l’inauguration d’un tronçon de l’autoroute «du soleil», à hauteur de Beaune.
Les voitures et la ville
Mais si le président Pompidou – qui estimait aussi que l’administration ferait bien de «foutre la paix au Français», ô regretté Grand Homme… – aimait les voitures rapides, il reste également aux yeux de l’histoire contemporaine comme le président qui a modernisé la France, notamment au niveau des réseaux routiers.
Dans un discours prononcé le jeudi 18 novembre 1971 au District de la région parisienne, il a ainsi mis en avant quelques-unes des réalisations mises en service, autoroutes, périphérique parisien et voie express rive droite «que quelques-uns critiquent quelquefois, mais qu’en tout cas, 23 millions d’automobilistes ont emprunté l’an dernier, ce qui prouve qu’elle sert à quelque chose, et cela sans abîmer le paysage et même en donnant à ces 23 millions de gens qui l’ont empruntée l’an dernier, quelques-unes des plus belles satisfactions qu’un homme puisse avoir au point de vue esthétique, comme par exemple quand il sort du tunnel devant le Louvre et qu’il débouche sur le pont Neuf et l’île de la Cité.»
Volontarisme
La SM présidentielle de Pompidou a servi aux chefs d’Etat jusqu’au mandat de Jacques Chirac (photo DR)
Droit dans ses bottes face à ces opposants, le président Pompidou pensait même «qu’il y a un certain esthétisme auquel il faut renoncer, et que ce n’est pas parce que l’on empêcherait les voitures de circuler qu’on rendrait Paris plus beau». Et d’enchaîner : «La voiture existe, il faut s’en accommoder et il s’agit d’adapter Paris à la fois à la vie des Parisiens et aux nécessités de l’automobile, à condition que les automobilistes veuillent bien se discipliner.»
C’est grâce à ce volontarisme affiché contre vent et marrée que le réseau autoroutier a été multiplié par cinq en une dizaine d’années. Le parc automobile Français n’a alors cessé de croître pour dépasser, dans les années 70, les 13 millions de véhicules, soit un taux de motorisation d’environ 60 %. Avec un sérieux revers à la médaille : la multiplication des bouchons. Là où le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne identifiait comme une «clé d’or» des déplacements urbains rapides, « à une allure comprise entre 50 et 60 km/h » (2), la réalité des déplacements motorisés était toute autre, ne dépassant pas 17 km/h en voiture. D’où la nécessité, aux yeux du président, d’ouvrir de larges voies rapides dans les villes. Et pas question de lui parler de limitation de vitesse : ces projets n’auraient jamais eu sa faveur. Pour lui, la diminution du nombre des accidents devait passer par l’instauration de règles simples et adaptées à la configuration de la route, ainsi que par l’éducation des conducteurs. En 1973, cependant, la vitesse sera limitée à 100 km/h, puis à 90 km/h sur route et à 120 km/h sur les autoroutes.
Tout de même, que de chemin a été parcouru depuis la fin des années 60. Au président autophile ont en effet succédé des administrations de plus en plus autophobes. Désormais, par la multiplication des taxes et des contraintes, l’État entend punir l’usage de la voiture, tandis qu’à Paris, après la fermeture d’une partie des voies sur berge, certains rêvent désormais tout haut d’une ville sans voiture. Qui risquerait aussi de devenir une ville sans vie.
(1) : le 22 août 1962, avec deux pneus crevés sur une route mouillée, la DS 19 a pu prendre de la vitesse et quitter la zone des tirs effectués sur le Général, alors que toute autre automobile de l’époque, dans les mêmes circonstances, serait probablement partie en tête-à-queue.
(2) cité par Mathieu Flonneau dans «Georges Pompidou, président conducteur, et la première crise urbaine de l’automobile», In: Vingtième Siècle, revue d’histoire, N°61, janvier-mars 1999.